Sur la vieille photo pliée en quatre qu’elle gardait précieusement dans la poche arrière de son baggy informe, comme elle était jolie la petite Maria Teresa Soares avec ses longs cheveux noirs, ses traits fins et ses vertes mirettes malicieuses. Elle souriait gentiment à Domingo, son maçon de père en train de l’immortaliser sur papier glacé. Combien de fois la naufragée du trottoir qu’elle était devenue ne l’avait-elle pas regardé ce cliché, ce dernier témoin d’une époque révolue ? Mais, au lieu de lui remonter le moral, ce souvenir des temps heureux ne cessait de l’attrister. Cette gentille gamine de 14 ans et demi, il y avait vingt ans au moins que ce n’était plus elle. Telle était du moins son impression. Ce sourire radieux, cette joie lumineuse et cette innocence naïve avaient disparu, comme évanouis dans les brumes d’un lointain passé…
Lointain ? Pas tant que cela. Toute l’histoire de la petite Maria avait commencé un samedi après-midi de mars dernier. Les prémices du printemps avaient-elles échauffé son jeune sang ? L’envie de prendre son envol, de conquérir un petit coin de liberté avait-elle été plus forte que l’habituelle obéissance prudente ? À vrai dire, elle n’en pouvait plus de l’ambiance de la maison. Les deux petits frères qui se chamaillaient tout le temps. Le père, qui tournait en rond, comme un ours en cage, entre les quatre murs du pavillon qu’il avait construit de ses mains trente années plus tôt. La mère, qui pleurait dans son coin en se demandant comment elle allait pouvoir joindre les deux bouts avec la ridicule retraite de son homme et les trois sous que lui rapportaient ses heures de ménage. Maria était la troisième des filles et avait encore deux frères jumeaux derrière elle. Elle ne supportait plus toutes les interdictions qui lui pourrissaient la vie comme elle disait.
Tu ne sortiras jamais le soir après 20 heures.
Tu n’iras pas te promener en ville.
Tu ne porteras pas de tenue sexy.
Tu ne te maquilleras pas.
Tu ne fumeras pas.
Tu ne boiras pas d’alcool.
Tu ne te drogueras pas.
Tu ne sècheras pas les cours.
Tu ne fréquenteras pas de garçons.
Tu ne coucheras pas avant le mariage.
En somme, les dix commandements ou plutôt les dix interdictions majeures de Master Domingo Soares, petit paterfamilias costaud, teigneux, râblé, tout en muscles, mais que l’inaction forcée commençait lentement à aigrir…
Alors, quand deux copines de son bahut lui avaient proposé ce plan foireux, « Viens avec nous, on va au Macoumba… Maintenant, ils font matinée à partir de 15 heures le samedi. Il paraît qu’il y aura des mecs et de la bonne zik ! » Elle avait accepté avec enthousiasme. Comme une petite idiote qu’elle était, pensait-elle, maintenant qu’elle grelottait dans le froid. Elle avait dû aller se changer et se maquiller, pour paraître ce qu’elle n’était pas, chez la meneuse, Zoubida, qui habitait à trois rues de chez elle, au B3 de la cité des Asphodèles. La dernière du trio, Coumba, la blackette de choc, les avait rejointes un peu après. Avec son collant en lamé or et son tee-shirt aussi moulant que décolleté, elle seule pouvait faire illusion et passer pour un peu plus que son âge si l’on n’y regardait pas de trop près. À trois, elles se sentaient plus fortes pour se lancer dans cette première expérience de sortie en boîte. Et pourtant, c’est à peine si elles arrivaient à un total de 45 ans en additionnant leurs âges respectifs.
« Trois petites sottes parties aguicher le grand méchant loup… »
Devant la porte à guichet du dancing, le vigile, un grand costaud de camerounais boudiné dans un costard sombre, tenta de s’opposer à leur entrée. Il avait bien flairé qu’elles étaient assez loin de l’âge légal, mais il céda devant l’insistance de Coumba qui affirma avec son habituel aplomb arrogant qu’elle était majeure et qu’elle répondait des deux autres. Ah, si ce grand crétin avait été plus strict, tout aurait été différent. Jamais elle n’aurait vécu ces mois de galère, jamais elle n’aurait parcouru ce long chemin de croix, cette descente aux enfers qui n’en finissait pas. Ah, oui, comme elle était loin la gamine joyeuse de la photo familiale. Partie à jamais. Morte définitivement. Remplacée par cette petite chose crasseuse, maigre à faire peur, silencieuse et désespérée. Une vagabonde déjà usée, au regard à la fois éteint et inquiétant qui se trainait lamentablement le long d’un chemin de campagne enneigée dans la grisaille et le froid d’un triste soir de décembre…
Pas grand monde à l’intérieur de la boîte chaude et vibrante comme une matrice en folie. Quelques collégiennes et lycéens en goguette. Quelques « vieux et vieilles » de trente, quarante ans et plus, rentrant le bedon pour les uns, arborant poitrines siliconées et lèvres botoxées pour les autres. Au Macoumba, les matinées ne marchaient pas très fort. Pour attirer la clientèle, la direction avait même institué la gratuité pour les filles. Sur la piste, Maria en repéra certaines qu’elle estima à peu près de son âge. Comme elles étaient là pour ça, elles commencèrent par se déhancher sur de la techno assourdissante et répétitive. Vite fatiguée et assoiffée, Maria les quitta pour se rapprocher du bar. Trois gars dans la trentaine y étaient accoudés, style dragueurs ringards. Le genre qu’une gamine, même dépourvue d’expérience, devait pouvoir aisément détecter comme des balletringues à fuir. Malheureusement, elle ne s’était pas assez méfiée, loin de là.
Le premier, un moricaud, boule à zéro et nez de rapace, l’invita à s’asseoir sur le tabouret placé à sa droite. Il se présenta en lui adressant la parole sur un ton patelin alors qu’elle ne lui avait rien demandé : « Bonjour beauté… Moi je m’appelle Melki… Ravi de faire ta connaissance… Tu ne dois pas venir souvent ici… Un aussi joli petit lot, je l’aurais remarqué… »
Le deuxième, un black bodybuildé, lèvres épaisses et coupe afro retenue par un large bandeau rouge, prit immédiatement le relais sur sa gauche : « Moi, c’est Balt… pour Baltimore… la classe… les States… pas pour Balthazar… le bled… ringard… Je parie que tu meurs de soif. Qu’est-ce que tu veux boire ? »
— Juste un coca bien glacé, risqua Maria en se rappelant que sa mère lui avait mille fois répété de ne jamais rien accepter venant d’inconnus… Ah, si elle avait appliqué cette belle recommandation cette après-midi-là, elle n’en serait pas à se tenir le ventre en marchant dans cette plaine givrée sans même savoir où elle allait…
Gasp, le troisième larron, un petit eurasien tatoué, rondouillard et rigolard, intervint dans son dos sans qu’elle y fasse vraiment attention. Avec un clin d’œil complice, il lança au barman qui reçut le message 5/5 : « Et un Cuba Libre, spécial de chez spécial, pour la petite miss ! C’est la maison qui régale ! »
Ensuite ses souvenirs devenaient plus confus. Elle se rappelait avoir pris le verre et, à peine une gorgée avalée, avoir protesté auprès de ces trois guignols. Il y avait de l’alcool dans ce mélange alors qu’elle n’en voulait pas.
« Allez, la gazelle, la rassura Melki, bois donc ton glass… Et fais pas ta mijaurée… C’est la fête… On s’éclate ! »
Elle avait soif. Elle but d’un trait la mixture sucrée et pétillante sans se douter une seconde de quoi elle était réellement composée. Puis ce fut l’immense trou noir après une courte période d’euphorie incompréhensible. Jamais elle n’aurait dû accepter. Neuf mois plus tard, la scène la hantait encore. Leur complice, le barman, avait ajouté discrètement quelques gouttes d’une drogue (1) indétectable, incolore, inodore et sans saveur… Mais non sans une terrible efficacité. Elle s’était vite retrouvée inerte, amorphe, sans volonté propre entre les bras d’un Melki tout heureux de s’improviser chevalier servant…
Elle n’avait émergé de son coma artificiel que quelques heures plus tard dans une arrière-cour inconnue. Elle se réveilla, vautrée sur un tas de vieux cartons et de gravats, débraillée, les habits en désordre et le jean sur les chevilles. Ces trois porcs avaient dû abuser d’elle, mais elle ne se souvenait absolument de rien. L’amnésie. L’impression qu’un mauvais génie avait effacé tout un pan de sa mémoire comme un élève passe l’éponge sur le tableau noir de la classe. Et pourtant, elle devina tout quand elle parvint à s’extraire de son tas d’ordures. Elle comprit intuitivement en découvrant le mince filet de sang qui avait coulé le long de sa cuisse et en ressentant la douleur qui irradiait dans son bas-ventre. Des larmes de honte silencieuse montèrent aussitôt à ses yeux. Elle rajusta son slip de coton blanc encore gluant de sperme refroidi, remonta son jean taché qui la moulait comme un gant et redescendit le tee-shirt qui couvrait ses petits seins d’adolescente à peine formée. Ils l’avaient violentée, salie, souillée et arrachée à tout jamais au monde de l’enfance. Par ce lâche stratagème chimique, ils lui avaient volé son innocence, sa candeur, sa pureté. Rien ne serait plus jamais comme avant. Comme elle ne pouvait pas bien visualiser l’horreur, c’est à elle qu’elle en voulait surtout. Tout avait dû se passer dans une autre dimension, un autre monde, un autre espace. Mais les conséquences étaient bien réelles…
À pas menus, un peu comme un boxeur démoli par les coups, elle rentra tristement chez elle. Par chance, la famille au grand complet était encore au centre commercial. Elle se boucla dans la salle de bains, se baigna, se doucha, se savonna, se frotta, s’étrilla avec l’énergie du désespoir. Elle aurait tant voulu que toute trace de cette abominable souillure disparaisse de sa peau, de son corps, de son cœur… En vain.
À partir de ce jour à marquer d’une pierre noire, ses parents la trouvèrent bizarre, triste, comme murée sur quelque chose qu’elle cachait. Limite dépressive. Elle trainait un air sombre et apathique, elle qu’ils avaient connue si gaie et si vivante. Aux repas familiaux, elle semblait boudeuse, chipotait sur la nourriture alors qu’auparavant elle avait si bon appétit. De quelle maladie pouvait-elle bien souffrir ? L’inquiétude de ses parents, elle la rejetait brutalement en prétendant qu’elle allait bien et qu’ils se faisaient du souci pour rien. Jamais ils ne l’avaient connue comme cela. Ils eurent beau insister, revenir sans cesse à la charge, ils n’obtinrent rien de plus. Ils finirent par se dire que cette attitude relevait de la crise d’adolescence et ils prirent leur mal en patience. Ils avaient déjà supporté les frasques des deux sœurs aînées qui avaient quitté depuis quelques années déjà le cocon familial. Ils finirent par prendre les choses avec philosophie…
Jusqu’à ce qu’un jour de fin juin Anna, la mère, finisse par trouver étrange que le ventre de sa fille se soit tant arrondi. Profitant que le père prenait son traditionnel pastis au café du coin, elle rejoignit Maria dans sa chambre de gamine pour une conversation entre femmes…
— Ne serais-tu pas en train de me cacher quelque chose de très important, ma chérie ?
Maria grommela quelques dénégations embrouillées. Sa mère ne voulut rien savoir. Elle avait eu cinq enfants. Sa fille ne pouvait pas tromper son instinct maternel. D’un geste décidé, elle souleva le sweat-shirt XXL informe que mettait Maria pour tromper son monde et fit apparaître au jour le ventre enflé. « Arrête de me raconter que tu as un peu grossi. Tu ne manges presque rien. Ton père et moi, on se demandait même si tu n’étais pas en train de virer anorexique… »
Le test de grossesse se révéla positif. Maria était bien enceinte. Mais de qui ? Elle ne pouvait pas le dire. Aucun souvenir ne lui revenait. Qui avait abusé d’elle ? Les trois gars du bar, Melki, Gasp et Balt ? Eux seuls et pourquoi pas d’autres qui avaient peut-être lâchement profité de l’aubaine. Ses deux copines, qui ne s’étaient aperçues de rien, ne pouvaient lui être du moindre secours. Elles étaient restées sur la piste de danse beaucoup plus longtemps qu’elle. Puis, ne la voyant nulle part, elles avaient fini par s’inquiéter. Le barman et quelques consommateurs présents assurèrent même qu’ils l’avaient vue quitter les lieux.
— Peu nous importe qui t’as engrossé ma fille, trancha Anna. Tout ce qui compte c’est que ton père n’en sache jamais rien !
Et elle l’entraîna dès lendemain dans un centre de planning familial, devant une bonne femme en blouse blanche dont l’attitude ne lui laissa présager rien de bon. Elle lui parlait d’une voix douce et rassurante, mais son regard était froid et distant. Maria ne put s’empêcher de penser au massacre des innocents. Un tas d’images plus répugnantes les unes que les autres s’imposèrent immédiatement à son esprit aux abois. La salle d’opération, la canule, les tuyaux, les aspirateurs, toute cette machinerie que des gens sans cœur allaient devoir introduire en elle pour la délivrer de ce qui l’encombrait. Ces tueurs allaient se permettre de farfouiller jusqu’aux tréfonds les plus secrets de son ventre pour y débusquer le petit être sans défense qui y avait fait son nid douillet. Il y aurait du sang partout. Toute sa chair, tout son esprit, tout son être, répugnait à ce qu’on lui proposait comme solution miracle. Et sa mère qui insistait, qui se montrait complice de ce crime programmé. Elle sentait la nausée remonter à l’idée que ces gens allaient à nouveau la violer. Mais cette fois, en toute légalité et avec son consentement. Et sans GHB ni Rohypnol…
— Son état est déjà avancé. Convenons d’une date… Le plus vite sera le mieux… Le fœtus n’est pas un être humain… Tout juste un amas de cellules… disait la femme en blanc sur un ton très doctoral.
Et Maria qui restait muette. Avec des larmes plein les yeux. Anna prit le rendez-vous pour elle. Toutes deux ressortirent de là en se soutenant l’une l’autre comme deux malades ou comme deux petites vieilles dans le parc d’une maison de retraite…
Le lendemain matin, Maria fourra dans un sac de voyage des habits de rechange, un nécessaire de toilette, un baladeur et quelques menues bricoles. Sans avoir prévenu quiconque et sans même laisser un mot d’explication, elle quitta la maison. Elle se contenta d’ouvrir la porte et de prendre la route. Elle se souvenait de cette journée de juin comme si c’était hier. Le ciel était bleu, le soleil brillait, les oiseaux chantaient. Elle avait choisi la liberté et la vie. Elle avait eu l’impression de partir en vacances prolongées. Un groupe de routards en fit sa mascotte et la promena un peu partout dans le midi. Avec leurs treillis, leurs rangers et leurs sales chiens, ils faisaient peur aux bourgeois. Ils buvaient sec, fumaient de l’herbe, chantaient en s’accompagnant à la guitare et tapaient la manche. Si, au début, cela ne lui sembla pas trop pénible en raison du temps clément et de la gentillesse des gens qui n’hésitaient pas à ouvrir leur escarcelle pour cette petite gamine enceinte si jeune, il n’en fut pas de même, quand, les premiers frimas arrivés, la bande se dispersa comme feuilles mortes au vent d’automne. Elle se retrouva donc toute seule avec pour misérables abris les gares, les entrées d’immeubles ou les arrêts de bus. Elle bascula dans le froid, le danger et la précarité permanente. Elle s’interdisait de fréquenter les assoces ou les accueils de nuit, de peur que les services sociaux ne s’intéressent d’un peu trop près à son cas particulier. Elle vécut donc dans la rue, sur les trottoirs ou dans les parcs publics au milieu de mille dangers. Survivre dans ces conditions représentait un défi permanent. Risquer à tous moments de se faire agresser, voler, dépouiller de ses ultimes possessions. Marcher, marcher, encore et toujours, marcher sans but, pour passer le temps, la faim et la peur au ventre.
Elle avait bien connu tout cela, cette lente et monstrueuse déchéance. Ces regards qui évitent le sien. Cette impression de ne plus avoir d’existence propre alors qu’on est jeune, pleine de vie avec un petit squatteur ou une petite squatteuse qui se prélasse dans son ventre et n’oublie jamais de crier famine. Aujourd’hui, sur ce chemin qui la menait nulle part, elle pensait avoir atteint le fond du trou, ne plus pouvoir descendre plus bas. Elle se sentait fatiguée, pouilleuse et répugnante de crasse. Depuis combien de temps n’avait-elle pas pris une douche ? Elle n’avait plus de sac, volé, ni de portable, vendu depuis longtemps, ni même de vêtements de rechange ou d’affaires de toilettes. Juste un bout de savon de Marseille dans une poche de son blouson kaki tout râpé. Tous les habits qu’elle possédait, elle les portait enfilés les uns sur les autres. Pas moins d’un collant et de deux pantalons, trois pulls, un bonnet et une capuche sans oublier une grosse écharpe de laine et des gants récupérés dans un vestiaire. En aucun cas, l’enfant qu’elle portait, son petit, son ultime raison de se battre, ne devrait avoir froid. Mais, Dieu, comme il pesait lourd et comme il la faisait souffrir… Quelle joie cela avait été pour elle de sentir dans son ventre ses premiers petits coups de pied. Mais maintenant, ce n’était plus la même chanson. Plus rien que la douleur, la souffrance, l’essoufflement et l’impression de ne plus être qu’une grosse truie qui doute. Elle achevait ainsi le neuvième mois d’une grossesse chaotique et sans véritable suivi médical. Elle avait eu des nausées, des envies de vomir, des périodes de découragement et d’euphorie. De jour en jour, les contractions étaient devenues de plus en plus violentes. Jamais elles n’avaient été aussi rapprochées. Elle sentait qu’elle arrivait au bout du chemin. Dans les deux sens du terme d’ailleurs. Bientôt viendrait la délivrance…
Mais elle n’avait rien de prévu. Elle était seule en train de marcher dans la grisaille d’une nuit qui allait tomber fort tôt. Depuis qu’elle n’avait plus de portable, elle avait même perdu toute notion du temps. Elle ignorait qu’on était le soir du 24 décembre, pas loin de la veillée de Noël. Le jour béni où les derniers hommes de bonne volonté respectaient une trêve pour célébrer symboliquement le message de paix et d’amour du Christ.
Seule sur la plaine immense, se dressait une grosse ferme fortifiée, en solides pierres de taille, toute lovée sur elle-même comme c’est la tradition dans la Brie. Un port. Un havre de paix dans un océan de solitude glaiseuse. Une promesse de chaleur et de sécurité. Arrivée au bout de ses longs mois d’errances, elle avait fini par revenir presque complètement sur ses pas. À vol d’oiseau, ces bâtiments agricoles ne devaient pas se trouver à plus d’une petite dizaine de kilomètres de la maison de ses parents… Complètement épuisée, elle se glissa dans la moiteur de l’immense étable et se laissa tomber sur la paille, entre deux vaches de race Holstein. Elle venait de perdre les eaux. Il n’y en avait plus pour très longtemps…
Quelle ne fut pas la surprise du fermier, venu surveiller la traite matinale, quand il découvrit cette touchante maman SDF serrant sur son ventre un petit être rougeâtre, tout sale et tout fripée. L’homme, un grand gaillard rouquin et barbu d’une bonne trentaine d’années fut immédiatement touché au cœur devant ce tableau évangélique. Il essaya de rassurer la jeune mère effrayée de cette irruption dans son intimité en prenant un ton de voix très doux et en usant de gestes tendres et rassurants. Ce vieux garçon bourru et plutôt asocial sentait qu’il allait lui falloir apprivoiser Maria avec encore plus de soin que s’il se fût agi d’un petit animal effarouché…
— Surtout ne craignez rien, Mademoiselle… Laissez-moi vous aider… Je m’y connais un peu… Enfin, avec les animaux… Les vaches, les brebis, les truies…
Les deux bonnes grosses Holstein réchauffaient doucement l’enfançon à la chaleur des jets de vapeur qui s’échappaient de leurs naseaux humides et roses. L’homme s’agenouilla dans la paille. Elle le laissa s’approcher. Il s’appelait José. Il savait déjà qu’il allait la prendre sous son aile, la protéger, l’aider et sans doute la chérir, elle, ce petit oiseau blessé et son bébé qui ne criait pas encore. Quand il coupa le cordon ombilical avec la lame de son Laguiole passée à la flamme de son Zippo, il se dit que né dans des circonstances pareilles, le petit ne pourrait porter d’autre nom que celui de Jésus…
(1) Le Conseil de l’Europe met sérieusement en garde le grand public contre l’utilisation des drogues du viol. Glissées à votre insu dans votre verre, vous perdez vos moyens, votre volonté, votre mémoire. Vous devenez la proie idéale pour un violeur, mais aussi pour un voleur. Et le lendemain, vous n’aurez aucun souvenir de ce qui s’est passé.
Cette pratique inquiétante se répand de plus en plus. Elle est initialement apparue dans les pays anglo-saxons et utilise le plus souvent des benzodiazépines, notamment le Rohypnol et le GHB (gamma hydroxybutyrate). En France, ce sont les hypnotiques comme le Stilnox qui sont les plus utilisés. Ces molécules ont la spécificité de lever l’inhibition, de provoquer des pertes de connaissance et des troubles de la mémoire, d’autant plus facilement qu’elles sont mélangées à de l’alcool. Ces drogues sont le plus souvent employées pour avoir des relations sexuelles sans le consentement éclairé de la victime.
(Article publié par Dr Philippe Presles le 26/02/2007 – Sources : Conseil de l’Europe, janvier 2007.)
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