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Aux portes de l’immense désert du Panscotschodt, une petite communauté vit des heures troublées. Suite à diverses pratiques magiques, un vieux laboureur impuissant se transforme en étalon fringant suscitant la convoitise de femmes venues d’un peu partout. Touché par la grâce son fils commence à prêcher dans le désert et à s’entourer de quelques fidèles disciples qui ne comprennent pas grand-chose à son message. Lui voudrait semer à tous vents l’amour et la paix. Eux ne rêvent que de se débarrasser de la tyrannie assez malsaine d’un militaire sans vergogne et d’un prince mal dans sa peau… Une fable ironique, un conte philosophique plein d’humour et de dérision. Ce petit monde mesquin, vicieux et retors nous amuse bien qu’il soit plus à plaindre qu’à blâmer. Mais n’a-t-il pas quelques points communs avec le nôtre ?

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ET EN PRIME, LE 3ème chapitre !!!

Bonne lecture…

CHAPITRE 3

— Voilà, reprit la Mamou, c’est à propos de ma dernière, la Lubélia, celle qu’est ronde…

— Celle qui bavait quand elle était petite ?

— Oui, la pauvre malheureuse… Son promis l’a séduite et abandonnée…

— C’est ce qu’on raconte partout…

— Il l’a laissée tomber lâchement, comme une vieille chaussette, la pauvrette…

— Les gens parlent d’une histoire de maladie d’amour, susurra la Bethsabée toujours au courant de tout.

— Oui, il semblerait qu’elle lui ait refilé la goutte au nez… dit la Mamou.

— Avec les sécrétions et les postillons, il faut toujours faire attention !

— M’en causez pas… Moi-même j’ai attrapé des pustules rien qu’en croisant la route du Ratchouk qu’est plein de verrues. Enfin, pour en revenir à notre affaire… On raconte que le gars n’aurait pas résisté à la contagion. Il aurait attrapé la munchagunja qui l’aurait transformé en loque humaine… Ah, moi je vous le dis, les jeunes de maintenant, ça ne tient plus le choc !

— Et puis, ils ne sont pas propres, ils se négligent… Pas étonnant qu’ils attrapent toutes sortes de saloperies, approuva la maigrichonne.

— Le résultat, c’est que ma Lubélia, elle se retrouve seule, démunie, sans ressources et avec la honte de se retrouver fille-mère en prime. Il ne lui reste plus qu’à aller livrer son enfant au désert !

— Comme c’est triste…

— Sans doute. Mais il m’est venu une idée qui pourrait arranger tout le monde… dit la Mamou sur un ton de complicité coquine.

— Laquelle ?

— Vous n’arrivez pas à pondre. Lubélia a dans le ventre ce qui vous manque. Nous vous le vendons ! Une proposition gagnant-gagnant. Du commerce équitable…

Au bout de la rue, la Bethsabée crut entendre hululer comme un chacal tentateur. Elle s’attendait à tout, mais pas à ça. Un instant déstabilisée, elle se reprit très vite : « Comme vous y allez, ma bonne ! Le thé à la tomate est en train de vous monter à la tête, malheureuse ! »

Elle se sentait à la fois révoltée, confuse et même émulsionnée. Un peu plus et son sang aurait tourné en mayonnaise. « Vous n’avez rien compris, Mamou. Mon enfant sera de moi, il sortira de mes entrailles, pas de celles d’une vulgaire pisseuse toujours prête à fauter avec le premier venu… »

— Je ne vous permets pas, la Bethsabée ! Son fiancé n’était pas le premier venu, mais le Prince Blanc soi-même, vous excuserez du peu !

— Ah, ah, ah ! Ricana l’autre. Le Prince Blanc ? Jamais ce grand seigneur ne se serait intéressé à pareille souillon. Il a assez à faire avec la Diane chasseresse…

La Mamou commençait à sentir la houarissa lui monter au nez. Pour calmer son irritation, elle attrapa la bouteille de Churunga à 77° et pas mal de poussières et s’en jeta une grande rasade derrière le col.

— Voilà, ça fait du bien par où que ça passe ! Fit-elle en roulant de gros yeux et en crachant quelques flammes dragonnesques. Trêve de discussions ! On vous laisse le lardon pour 10 000 dolros. C’est à prendre ou à laisser. Ici, on ne marchande pas, on n’est pas des marchands de tapis volants !

— 10 000 dolros… répéta Bethsabée au comble de la stupeur. Vous ne vous mouchez pas du coude, la Mamou !

— Allez, c’est une affaire… Pour vous… À votre âge… Dans votre état… Imaginez… Plus de souci de vous faire engrosser ou pas. Plus de nausées, plus d’envie de fraises en hiver, plus de grossesse à risques collatéraux… Il vous suffira de vous rembourrer un peu sur l’avant, tenez, avec un gros coussin par exemple. Puis d’aller chanter partout que ça y est, que vous y êtes bien et le moment venu vous n’aurez plus qu’à filer discrètement vers le Schodt au fond du jardin…

— Mais, moi, je suis une honnête femme, pas une réprouvée ni une trainée…

— Qu’importe ? La différence est si minime, fit la Mamou d’un air désabusé.

— Mais au moins, serai-je assurée de votre absolue discrétion à toutes les deux ?

— N’ayez aucune crainte… Pour dix mille, je me transforme en tombe de marbre première qualité. Quant à la Lubélia, vous n’avez rien à craindre. Elle est simplette et quasiment mutique !

— Sans doute, sans doute, reprit Bethsabée. Mais vous êtes le maillon faible. Je ne crois pas à votre histoire de stèle en marbre à moins que ce ne soit du marbre dont on fait les bidets. Parce que vous l’avez bien pendue, la baveuse à potins ! C’est pas bien facile de vous faire lâcher le crachoir à palabres !

— Allez, concéda la Mamou avec une sorte de grandiloquence généreuse, ajoutez cent dolros et je fais tomber une chape de plomb sur le marbre… Ça vous va mieux comme ça ?

— Non, ça ne me convient pas du tout.

— À votre place, je ne ferai pas autant la difficile, commença doctement la forte femme. Vous semblez oublier que notre village a été classé par l’UMESCO « village remarquable de Fécondité bienheureuse ». Que nous devons nous reproduire en tant qu’espèce protégée. Que nos gouvernants ont déclaré la procréation « priorité des priorités ». Et que la répression exercée contre les couples sans enfants peut être terrible. À Ryadsol, on vient d’étriper en place publique trois faux prophètes, un étranger qui s’appelait Pillman, un mouzik dénommé Ogimanoff et un crétin des Alpes italiennes qui s’était affublé du surnom de Stérilisatus… Avec tous ces boyaux mis sur le marché, je vous jure que le cours de la tripe a dû baisser sérieusement. Il se pourrait qu’un jour un hurluberlu s’en inspire ici aussi…

— Mais voyons, la Mamou, ça fait quarante ans que nous sommes voisines. Tous ensemble, nous vivons dans la convivialité, dans la bonne entente et dans le respect mutuel… Jamais un pareil châtiment n’a été prononcé contre quiconque. Sur les bords du Schodt, nous ne nous comportons pas en sauvages comme dans la capitale !

— Parce qu’un complaisant silence complice vous a toujours protégée…

— Vous n’iriez tout de même pas postillonner nuitamment sur mon compte du côté de la Kommandantura ? S’inquiéta Bethsabée.

À cet instant, un Riazak fatigué entra en trainant des babouches de plomb. Sec comme un vieux sarment de vigne, la peau cuite et recuite au grand soleil du désert, les yeux couleur du champagne qui pétille, il semblait vieux mais encore doté d’un certain charme. « Que se passe-t-il donc ici ? Vous avez l’air préoccupé, Mesdames ? » Bien que simple laboureur, il connaissait les bonnes manières.

— Voilà, expliqua la Mamou, je viens de proposer à celle-ci un bel enfant tout fait pour la modique somme de 10 100 dolros… et Madame se permet de refuser !

— Oui, sanglota Bethsabée… Quand tu es arrivé, elle en était déjà à me menacer d’aller tout balancer à Pollyt le trembleur.

Le sablonneux vit rouge. « Ça alors, c’est plus fort que le raifort ! Se mit-il à hurler. Essaie donc, grosse pouffiasse ! »

— Je vais me gêner, impuissant, lui répliqua-t-elle du tac au tac.

— Fous le camp immédiatement, salope !

— Tu auras de mes nouvelles, lopette ! Hurla la Mamou de son air le plus mauvais.

Alors Riazak s’empara d’un balai qui trainait dans un coin et se mit à en caresser les côtes du mastodonte femelle. Les coups faisaient flop flop dans la graisse. La Mamou beuglait à fendre l’âme. « Ça va t’apprendre à vivre, vieille ordure ! » s’énervait le laboureur.

— On verra bien qui va chanter sur le pal, pourriture, lança encore la Mamou.

Malgré les coups qui lui pleuvait dru sur l’échine, la grosse restait comme fichée dans le sol. Riazak prit son élan et fonça sur elle, le manche en avant. L’autre se retrouva projetée dans le sable de la rue, les quatre fers en l’air. Elle trouva encore le moyen de persifler : « Eh bien dis donc, mou du genou comme tu avais l’air, je ne t’aurais pas cru capable de ça ! » Elle aurait mieux fait de se taire. Le boucan ayant dû déranger dans sa sieste un autre habitant, celui-ci ne manqua pas de lui balancer sur la tête un nouveau seau de sable. Fâchée et meurtrie, la grosse quitta les lieux non sans maudire le Riazak ombrageux, la Bethsabée radine, les dormeurs du val mauvais coucheurs, la Lubélia baveuse, le médecin-volant aux abonnés absents, le Kommissar trembleur, Capulco le tyran, Justin Nietyès l’éternel incapable et, au bout du compte, l’humanité toute entière…

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