Et voilà le 17ème ouvrage publié par votre serviteur.
Un roman de science-fiction humoristique et un brin sarcastique qui plaira à certain(e)s, j’espère.
Ci-dessus le premier chapitre, histoire de donner une idée… Bonne lecture !
CHAPITRE 1
Le chercheur de l’étrange
« De quels éléments matériels les scientifiques disposent-ils pour étudier les phénomènes d’apparitions d’objets volants non identifiés ? D’observations souvent sujettes à caution, de documents pas toujours accessibles ou peut-être même trafiqués et surtout de témoignages qui apparaissent parfois assez peu fiables. Ainsi certains esprits fragiles peuvent-ils se méprendre sincèrement à cause d’un engin de fabrication humaine comme un avion, un ballon sonde ou un satellite artificiel voire d’un phénomène astronomique parfaitement banal comme la perception erronée d’une comète, d’une planète, d’un astéroïde ou d’une simple réalité météorologique comme un altocumulus lenticularis ou une zébrure en boule causée par la foudre. Il n’en demeure pas moins que certains faits restent troublants, ne seraient-ce que par le doute qu’ils laissent subsister. Ainsi en est-il du témoignage d’un certain Kenneth Arnold qui fut à l’origine de la prise en compte de certains phénomènes mystérieux à l’époque moderne. L’affaire date de 1947. Arnold propose aux autorités une description assez peu précise d’un objet volant plutôt suspect. De forme oblongue, blanche et relativement lumineuse, il plane à grande vitesse, progressant par bonds, un peu à la manière des ricochets d’un caillou plat lancé à la surface d’un étang. Il n’en faut pas plus pour que les sceptiques et les rationalistes s’écrient qu’Arnold n’a fait qu’observer le vol d’un pélican blanc, d’une cigogne ou d’une oie sauvage et qu’il n’y a pas de quoi fouetter le moindre chat. L’ennui, c’est que des dizaines de témoins se manifestent ensuite pour déclarer qu’eux aussi ont vu des engins semblables. Des journalistes pleins d’imagination vont ensuite les baptiser « soucoupes volantes… »
L’orateur lève le nez au-dessus de ses notes et observe une pause dans son exposé. Il s’appelle Léo Sullivan Delgrieux et vient de se présenter comme chercheur et écrivain. L’assistance clairsemée de la salle polyvalente de l’Institut de Recherche Phénoménologique de l’Espace (IRPE) se résume à une vingtaine de personnes. Tous les âges de la vie adulte y sont représentés. Delgrieux remarque que son public est attentif et même studieux. Plusieurs femmes prennent des notes. Les gens des premiers rangs sont tellement intéressés qu’il a l’impression qu’ils boivent ses paroles. D’un air calme et débonnaire, il reprend le fil de sa démonstration : « L’année 1947 fut particulièrement importante pour notre sujet car c’est aussi celle de l’incident de Roswell. Toute l’affaire s’expliquerait par le crash d’un ballon-sonde appelé « Mosgoul ». Telle est la version officielle qui fut d’ailleurs corroborée autant par les experts du gouvernement américain que par les enquêteurs indépendants comme Karl K.Korff ou Philip J. Klass pour ne citer que les deux plus célèbres d’entre eux. Le projet « Mosgoul » consistait à envoyer dans la haute atmosphère des engins capables de vérifier si l’URSS procédait à des essais nucléaires. Les débris retrouvés sur place correspondraient bien à ce type d’objet… »
Et là, l’assistance si passive se mit à réagir tout d’abord par des murmures puis par un léger brouhaha et finalement par toutes sortes d’interventions plus ou moins intempestives.
— Ainsi donc, fit un barbu à lunettes vêtu d’un saroual et d’une tunique indienne, selon vous, tout serait parfaitement explicable dans cette histoire. L’ennui c’est que la version officielle ne tient pas. Personne n’y croit plus. Trop de faits troublants l’ont battu en brèche.
— Je reconnais que l’attitude du gouvernement américain et surtout le comportement de l’armée et des agents spéciaux dépêchés sur les lieux ont été des plus maladroits. Leur brutalité et leur méfiance ont entretenu le doute.
— C’est bien peu dire, intervient une femme dans la cinquantaine plutôt boulotte et véhémente. Votre manière d’exposer les faits est fortement décevante, Professeur. Vous oubliez les intimidations de témoins, le refus d’enregistrer certaines observations et certains témoignages, sans oublier les morts et les disparitions inexpliquées…
— J’essaie de respecter les critères d’une démarche scientifique, d’analyser les évènements de façon objective…
Au premier rang, une charmante jeune femme blonde aux traits vaguement eurasiatiques se lève brusquement et prend la parole d’une charmante voix melliflue : « Maître Sullivan Delgrieux, vous n’êtes pas sans savoir qu’avec l’affaire de Roswell, il est impossible d’être objectif. Il y a deux camps; celui de ceux qui n’y croient pas et celui de ceux qui y croient. De quel côté de la barricade vous situez-vous ? »
— Avec si peu de certitude, il est quasiment impossible de se faire une opinion tranchée et de choisir un camp, bredouille le conférencier en redressant sa haute taille et son menton carré parfaitement rasé ce qui n’a pour seul effet que d’exciter un peu plus la vindicte d’une assemblée tout acquise à la version ésotérique du phénomène.
— C’est du ni oui ni non, cette réponse, fait un jeune tondu cachant son regard derrière une paire de Ray-bans noires. La version officielle, c’est pipeau, foutaises et compagnie. Un ballon-sonde gonflé à l’hélium, ça redescend en douceur, ça ne s’écrase pas. Et puis pourquoi l’armée a-t-elle classifié tous les documents et dissimulé toutes les preuves ? Pourquoi le gouvernement a-t-il refusé de prendre en compte les témoignages ? Cet empressement à tout faire disparaître est plus que louche. On nous a caché quelque chose de terrible !
— Et vous oubliez l’homme de Roswell ! Braille le barbu du début. Pour une preuve, c’est une preuve. Le cadavre d’un extra-terrestre ! Il a été photographié, autopsié, disséqué, examiné sous toutes les coutures. Et vous doutez encore ? C’est indigne de quelqu’un qui se dit chercheur honnête et indépendant.
Le brouhaha tourne au vacarme. Tout le monde est debout, s’agite, montre le poing. Un petit bonhomme en costume gris et cravate sombre se glisse discrètement jusqu’à l’estrade où Delgrieux se sent de plus en plus mal à l’aise. Il réalise que l’incompréhension et le rejet montant de l’assistance atteignent leur paroxysme. Au lieu de calmer les esprits en allant dans le sens du vent, le voilà qui en rajoute dans l’exposé de l’explication officielle : « Il s’agissait d’un mannequin en latex qui avait servi pour le tournage d’un film de science-fiction de série Z, rien d’autre… »
— Ouh ! Braille la foule. C’est une honte !
— Qu’on nous le prouve !
— Incroyable. Quelle outrecuidance !
— Comment peut-on oser venir raconter ça chez nous !
Le petit homme éteint le micro et entraîne l’orateur hors de la salle. Delgrieux a juste le temps de croiser le regard de la belle eurasienne. Il y lit une profonde déception et croit comprendre à son attitude quelque chose comme : « Courage, je suis à vos côtés ». Il sort sous les quolibets et les lazzis.
— Descombes, j’y perds mon latin, commence Delgrieux, une fois installé au calme dans le bureau du petit homme en gris qui n’est autre que le directeur de l’IRPE. Jamais rencontré pareille incompréhension. Ces gens savent que je suis pourtant acquis à leurs idées.
— Cela ne se voyait pas vraiment aujourd’hui, grince Descombes. Vous avez fait la part belle aux rationalistes. Nos amis ne supportent plus d’entendre en permanence cet éternel discours convenu, ce ramassis de mensonges mal fagotés. Ils viennent ici pour qu’on leur raconte autre chose.
— Mais mes écrits parlent pour moi, proteste Delgrieux. Je reste persuadé que l’invasion est toute proche.
— Notre planète est observée depuis la nuit des temps, Delgrieux. Les E.T ont toujours interféré dans l’histoire de l’humanité. Certains savants pensent même que nous serions les descendants d’embryons venus de l’espace.
— Moi, je cherche avec honnêteté et objectivité. Je veux respecter une démarche scientifique sérieuse.
— Dois-je comprendre que les adhérents de notre institut ne sont pour vous qu’une bande de zozos et d’illuminés ? Lance Descombes.
Le ton est suffisamment glacial pour que Delgrieux ne réplique pas. L’autre poursuit sur sa lancée : « Et l’Atlantide ? Et les géants de l’île de Pâques ? Et la disparition du continent de Mu ? Et les alignements de Stonehenge ? Et ceux de Carnac ? Et les pyramides d’Egypte ? Et les dessins du désert de Nazca qui ne prennent sens que vus du ciel ? Qu’est-ce que vous en faîtes ? »
— On peut voir des traces d’extra-terrestres partout, répond Sullivan Delgrieux. Mais ce n’est pas ma manière d’envisager les choses.
— Et c’est bien ce que nous vous reprochons… grince le petit homme aux yeux fourbes. Je vous rappelle que je vous avais engagé à l’essai…
— Nous étions tombés d’accord pour un cycle d’un trimestre de conférences sur le sujet, tente de corriger l’écrivain.
— À ceci près que vous deviez convaincre dès la première séance. Et cela a été loin d’être le cas.
— C’est un fâcheux malentendu, proteste Delgrieux. Les gens ne m’ont pas laissé le temps de développer ma pensée. Vous-même avez coupé le micro…
— Que vouliez-vous ? Que nos amis cassent tout ? Qu’ils vous bombardent de projectiles ? Qu’ils vous lynchent ?
Delgrieux est effondré. Auteur de romans de science-fiction au succès très relatif, il comptait sur cette opportunité pour se refaire une santé financière et pour établir plus solidement une notoriété chancelante.
Conscient de son avantage, Descombes reprend la parole : « En conséquence, vous comprendrez que nous en restions là. Nous n’irons pas plus loin dans notre collaboration. J’en suis d’autant plus désolé que je réalise que je me suis trompé sur votre compte et que j’ai mis en danger la réputation de l’IRPE. »
— Au moins, allez-vous me régler cette première prestation ? Demande Delgrieux qui se sent comme un mendiant demandant l’aumône.
— N’y comptez pas ! Tranche le directeur. Vous vous êtes fait sortir au bout de dix-sept minutes d’intervention. J’estime que vous n’avez pas rempli votre contrat. Les gens étaient furieux contre vous. Votre exposé était calamiteux…
Descombes se lève, tout gris, tout petit, tout bouffi de colère, mais raide comme la justice. Ainsi signifie-t-il à son interlocuteur que l’entretien est terminé et qu’il n’y a plus rien à attendre de lui. Delgrieux se sent obligé de l’imiter. Il esquisse le geste de tendre la main pour un dernier salut. L’autre garde la sienne bien à plat sur son bureau d’acajou brillant. L’humiliation est totale. Delgrieux sort en craignant de s’être définitivement grillé dans le petit milieu des ufologues, ufomanes, ufolâtres et autres ufophiles, enragés ou non.
Se retrouvant un peu sonné sur le trottoir, il reste un moment debout, immobile parmi les passants du boulevard Lénine. Il a l’impression d’apercevoir sur le trottoir d’en face la belle eurasienne du premier rang. Sa beauté plastique, ses formes troublantes seraient-elles déjà en train d’envahir son esprit ? Il chasse bien vite cette idée. Non, il se persuade que ce n’était qu’une passante blonde qui lui ressemblait très vaguement.
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